Tumeur splénique chez un lapin

de compagnie

Sommaire

  • Les maladies lymphoprolifératives sont rares chez le Lapin.
  • Parmi elles, le lymphome est l’une des plus fréquentes. Il revêt généralement une forme systémique.
  • Ce cas présente une atteinte jamais décrite primitivement limitée à la rate.
  • Les maladies spléniques sont rares chez le Lapin.

Auteurs : Drs. Lucas Flenghi, Céline Levrier et Christophe Bulliot 10-07-2017
Service NAC – Centre Hospitalier Vétérinaire des Cordeliers,
29 avenue du Maréchal Joffre, 77100 Meaux.
E-mail : nac@chvcordeliers.com
Cet article a été publié dans : PratiqueVet (2017) 52 : p 316-319

Objectifs pédagogiques

Être capable

  • d’intégrer une tumeur splénique dans le diagnostic différentiel d’une masse abdominale chez un lapin ;
  • de connaître les symptômes et la démarche diagnostique d’un lymphome chez le Lapin

Crédit de formation continue

La lecture de cet article ouvre droit à 0,05 CFC. La déclaration de lecture, individuelle et volontaire, est à effectuer auprès du CNVFCC. 

Tumeur splénique chez un lapin de compagnie

Un lapin mâle non stérilisé de 7 ans est présenté en consultation pour une visite de routine dans le cadre d’un suivi de maladie dentaire.
Un abcès dentaire a été traité chirurgicalement 5 ans auparavant et n’a pas montré de récidive jusqu’à présent.
Des visites régulières tous les 4 à 6 mois sont effectuées en vue d’une palpation de la mâchoire et d’un examen de la cavité buccale à l’aide d’un otoscope vidéo.
Le lapin apparaît en bonne santé et aucune altération de son état général n’est signalée par le propriétaire.
Durant l’examen clinique, une masse abdominale est décelée à la palpation.

Photo 1. Distension abdominale (photo réalisée après tonte).

Cas clinique

Examen clinique

L’examen dentaire montre une malocclusion modérée sans pointe dentaire et une déformation mandibulaire minime en regard du site de l’abcès dentaire traité dans le passé.
Ces anomalies sont stables par rapport aux précédentes visites.

Durant l’examen clinique, une masse abdominale crâniale et ventrale est repérée à la palpation (Photo 1).
Elle présente une forme allongée selon un axe perpendiculaire à celui du corps et un contour régulier. Ses dimensions sont approximativement 10 x 4 cm. La palpation est non douloureuse.

L’estomac est souple et de taille normale.
Les deux reins sont repérés à la palpation et semblent normaux.
Le reste de l’examen clinique est normal.

Hypothèses diagnostiques

Les hypothèses diagnostiques concernant une masse abdominale incluent une organomégalie (foie, rein, rate, ganglion, tube digestif), un granulome ou un abcès intra-abdominal.
La localisation crâniale et l’aspect régulier de la masse peuvent être évocateurs d’une torsion de lobe hépatique parfois décrite chez le Lapin mais aucune altération d’état général, habituellement présente dans cette affection, n’est observée.

Examens complémentaires

Des radiographies et une échographie abdominale sont réalisées.

  • La radiographie montre une masse abdominale non identifiable.
    Elle est caudo-ventrale au foie et ne semble pas en continuité avec celui-ci (Photo 2).
    Aucune métastase pulmonaire ou osseuse d’une éventuelle néoplasie n’est mise en évidence.
  • Le bilan échographique conclut à une importante splénomégalie (environ 10 cm de long sur 2 cm d’épaisseur) avec un liseré hypoéchogène en périphérie.
    Le reste de l’examen est dans la normalité. Les hypothèses de néoplasie splénique ou d’hyperplasie réactionnelle (bien que non décrite chez le Lapin de compagnie) sont formulées.
    Une cytoponction échoguidée n’a pas été réalisée mais aurait pu être intéressante.
  • Un bilan sanguin biochimique et hématologique et un frottis sanguin sont réalisés en complément de l’imagerie médicale et ne révèlent aucune anomalie.

Photo 2. Radiographie abdominale de profil, une masse homogène est observable dans l’abdomen crânial, cranio-caudalement au foie (flèche). Aucune métastase d’une éventuelle néoplasie n’est observable en région pulmonaire ou sur le squelette.

Traitement

Une splénectomie est pratiquée en accord avec le propriétaire en raison de la taille très inhabituelle de l’organe et du risque tumoral.
La technique chirurgicale débute par une incision de la paroi abdominale médiale sur 10 cm et une extériorisation délicate de la rate (Photo 3)

Photo 3. Temps peropératoire et observation de la splénomégalie.

Une masse correspondant probablement à un nœud lymphatique et située sur le pédicule de la rate très proche de celle-ci est repérée et retirée en même temps que la rate.
Des ligatures de la vascularisation sont posées avant son incision, le contrôle de l’hémostase et le retrait de l’organe (Photo 4).
Une inspection visuelle de la cavité abdominale et une palpation douce du mésentère et des ganglions repérés tels que le ganglion mésentérique sont effectuées et ne révèlent aucune anomalie.
La fermeture de la paroi abdominale est classique en trois plans, musculaire, sous-cutané et cutané.

Photo 4. Pièce d’exérèse après splénectomie : une masse ronde est observée à la base de celle-ci, l’analyse histopathologique conclut à un ganglion (flèche). Une splénomégalie conséquente mais de déformation majeure est remarquée.

Diagnostic définitif et évolution

La convalescence se passe bien et le lapin est rendu à ses propriétaires le lendemain de l’intervention.

L’analyse histopathologique conclut à un lymphome splénique diffus de haut grade. Le parenchyme splénique est sévèrement infiltré par une prolifération densément cellulaire de plages de cellules rondes à cytoplasme peu abondant et à noyau rond fortement nucléolé.

Quelques cellules montrent une multinucléation. Les mitoses sont fréquentes (12/ champs x 400) et l’anisocytose et l’anisocaryose sont marquées (Photo 5).

Photo 5. Vue microscopique (HE, grossissement x 40) d’une coupe histologique de la rate. Le parenchyme est sévèrement infiltré par une prolifération densément cellulaire de plages de cellules rondes à cytoplasme peu abondant. Les mitoses sont fréquentes et l’anisocytose et l’anisocaryose sont marquée.

Le stroma contient de multiples petits amas de petits lymphocytes matures.

Une prolifération tumorale identique à celle de la rate touche le nœud lymphatique retiré en même temps que la rate.

Les anticorps classiquement utilisés en immunohistochimie chez le Chien et le Chat sont originaires de Lapin et ne peuvent donc être utilisés dans cette espèce en raison d’une réaction systématique.

L’immunophénotypage n’a donc pas été possible dans notre cas, notre laboratoire ne disposant pas d’anticorps anti-B et anti-T produits chez d’autres espèces que le Lapin.

Une échographie de contrôle, un examen sanguin hématologique et un frottis sanguin sont réalisés 3 et 7 mois après l’intervention.

Seule une adénomégalie mésentérique modérée (5,8 x 7,3 x 7,9 mm) puis plus importante (4,4 x 7 x 12,4 mm) est révélée.

Une laparotomie en vue d’une biopsie est réalisée 7 mois après la première intervention.

Un lymphome ganglionnaire de haut grade de morphologie similaire au lymphome préalablement diagnostiqué dans la rate est mis en évidence à l’examen histologique.

Une évolution avec atteinte locorégionale est constatée mais sans évolution vers une forme multicentrique.

Le lapin est toujours vivant 17 mois après la consultation ayant mis en évidence la masse abdominale et ne présente toujours aucun symptôme ni complication.
Les propriétaires ont refusé un traitement en chimiothérapie.

Discussion

Les maladies lymphoprolifératives sont rares chez le Lapin.

La rate est très petite chez le Lapin et les affections la concernant rarement décrites dans la littérature.
Elle est normalement non palpable à l’examen clinique [1].

Le lymphome est la tumeur la plus fréquente chez les jeunes lapins

Les tumeurs à cellules rondes regroupent entre autres les lymphomes, et les leucémies. Les maladies lymphoprolifératives sont rares chez le Lapin [2,3].
Le lymphome est la tumeur la plus fréquente chez les lapins juvéniles et les jeunes adultes. C’est la seconde tumeur en fréquence chez le Lapin de tout âge. L’âge des lapins atteints varie de 7 mois à 9,5 ans.
Le lymphome est décrit comme une maladie systémique dans cette espèce.
Les symptômes incluent anorexie, léthargie, dyspnée, amaigrissement, nodules cutanés, blépharite, lymphadénomégalie périphérique et diarrhée [2-4].

Des modifications des analyses biochimiques peuvent être observées selon les organes atteints (reins, foie).
Les analyses hématologiques peuvent montrer un hématocrite bas et une lymphocytose [2-4].
Le frottis sanguin montre parfois des lymphocytes néoplasiques [5].

À l’autopsie, les organes atteints sont les nœuds lymphatiques, poumons, foie, reins, rate, gonades, glandes surrénales, tube digestif, fosses nasales, moelle osseuse et sinus.

Des formes leucémiques ont été décrites avec infiltration d’organes par des cellules lymphoïdes [2,4,6,7].

Une origine inconnue

L’origine des maladies lymphoprolifératives est inconnue chez le Lapin.
Une origine génétique a été suspectée chez les lapins Wirehaire.
Une origine virale (retrovirus) a été avancée mais non prouvée [4].

Des lymphomes de type B et T sont décrits dans la littérature anglo-saxonne, ils sont différenciés par immunohistochimie [4,5].
Le lymphome revêt une forme systémique chez le Lapin à l’exception des lymphomes thymiques. Un unique cas localisé à la peau a été décrit [8].

Des essais de chimiothérapie ont été rapportés avec l’utilisation de diverses molécules mais aucun protocole n’a été établi pour le Lapin [2,3,5].

La guérison est rarement observée et le pronostic sur du long terme reste mauvais. La mort survient en 1 semaine à 10 mois [1,5].

Ce cas clinique revêt un caractère tout à fait inhabituel dans cette maladie car il concerne un lymphome non-multicentrique chez un lapin âgé, ne présentant ni symptôme ni modification des analyses sanguines et toujours vivant et en bonne santé 17 mois après la consultation.

Chez le Chien, le taux de survie à 1 an postsplénectomie est de 59 % dans le cas de lymphomes isolés de la rate [9].

Aucun autre cas de tumeur primitive de la rate n’a été décrit dans la littérature chez le Lapin de compagnie.

Conclusion

Ce cas clinique a pour intérêt de présenter un lymphome splénique primitif sans forme multicentrique, à notre connaissance jamais décrit dans cette espèce, et de souligner l’intérêt de l’ajouter au diagnostic différentiel d’une masse abdominale.

Mémo

  • Aucun autre cas de tumeur splénique primitive n’a été décrit dans la littérature à ce jour. Le symphome a une forme multicentrique chez le Lapin à l’exception des formes thymiques et d’un unique cas cutané décrit.
  • Le diagnostic différentiel d’une masse abdominale inclut une organomégalie, d’origine ou non-néoplasique, un granulome et un abcès intra-abdominal.
  • Le diagnostic repose sur la clinique et l’imagerie médicale. Un bilan sanguin hématologique et des frottis sanguins doivent être effectués pour la recherche d’une éventuelle modification de la formule
    et des cellules sanguines.
  • Le traitement chirurgical a été curatif bien qu’une récidive locorégionale soit apparue.
  • Le lapin est toujours vivant 17 mois après la consultation ayant mis en évidence la masse abdominale et n’a pas reçu de traitement de chimiothérapie

À lire…

1. Meredith A. Biology, anatomy and physiology. In : Meredith A, Lord B, eds, BSAVA manual of rabbit medicine. Gloucester : BSAVA – British Small Animal Veterinary Association ; 2014 : 1-12.
2. Heatley JJ, Smith AN. Spontaneous neoplasms of lagomorphs. Vet Clin North Am Exot Anim Pract. 2004 ; 7 : 561-77.
3. Varga M. Neoplasia. In : Meredith A, Lord B, eds, BSAVA manual of rabbit medicine. Gloucester : BSAVA – British Small Animal Veterinary Association ; 2014 : 264-73.
4. Huston SM et coll. Cardiovascular disease, lymphoproliferative disorders and thymomas. In : Quesenberry KE, Carpenter M, eds, Ferrets, rabbits and rodents, clinical medicine and surgery. 3rd edition. St Louis : Saunders ; 2012 : 257-68.
5. Robat C, Mayer J. Lymphosarcoma. In : Mayer J, Donnely TM, eds, Clinical Veterinary Advisor, Birds and Exotic Pets. Riverport Lane : Elsevier ; 2013 : 395-6.
6. Toth LA et coll. Lymphocytic leukemia and lymphosarcoma in a rabbit. J Am Vet Med Assoc. 1990 ; 197 : 627-9.
7. Shibuya K et coll. Spontaneous lymphoma in a Japanese white rabbit. J Vet Med Sci, 1999 ; 61 : 1327-9.
8. White SD et coll. Lymphoma with cutaneous involvment in three domestic rabbits (Oryctolagus cuniculus). Vet Dermatol. 2000 ; 11 : 61-7.
9. Van Stee L et coll, Outcome and Prognostic Factors for Canine Splenic Lymphoma Treated by Splenectomy (1995–2011). Vet Surg. 2015 ; 44 : 976-82

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