J’ai vécu récemment deux anecdotes, somme toute assez banales mais qui me donnent l’occasion d’écrire tout haut ce que beaucoup de monde pense tout bas.
La première anecdote est la suivante : je rendais une chatte après une ovariectomie et je servais à la propriétaire mon conventionnel discours bien rodé pour ce genre de situation. « vous n’avez rien à donner comme médicament ce soir, nous avons administré les antidouleurs et les antibiotiques par injection… ».
Sur ce, la propriétaire m’a repris sur un ton offensé en me demandant pourquoi diable nous avions utilisé des antibiotiques. J’ai commencé à lui parler d’antibioprophylaxie jusqu’à ce qu’elle me coupe en me racontant qu’elle avait elle même subie une ovariohysterectomie et qu’à aucun moment elle n’avait reçu d’antibiotiques.
Ce à quoi j’ai répondu, un peu acculé, qu’elle était certainement moins poilue que son chat (ce qu’elle a à demi acquiescé en m’avouant qu’à cette occasion elle s’était faite épiler avant (véridique)).
Il y a deux vérités ici : la première c’est que je doute fort qu’elle soit au courant de la moitié des produits qu’on lui a injecté pour son intervention et j’imagine bien que le chirurgien a touché un mot à son anesthésiste afin que cette dame soit endormie avant même qu’il n’entre dans le bloc et d’éviter ainsi tout débat stérile. La deuxième vérité c’est que cette propriétaire de chatte a entièrement raison quand elle pense que son chat n’avait pas besoin d’antibiotiques.
Mais combien avons nous de propriétaires qui sont prêts à accepter que leur animal s’infecte au nom de la lutte contre l’antibiorésistance ?
Pour ou contre l’antibioprophylaxie ?
La deuxième anecdote m’a ouvert les yeux tout en écorchant mes convictions au passage. A la même période que l’histoire ci dessus, il se trouve que nous étions en train de discuter de notre manière d’utiliser les antibiotiques. J’aime à croire que je fais très attention quant à leur utilisation. Il se trouve que mon confrère voulait pousser le concept et arrêter toute antibioprophylaxie sur les chirurgies propres et propre-contaminées. Nous avons donc décidé que, quitte à prendre ce risque, nous en ferions une étude afin de pouvoir partager notre expérience. Fiers de notre idée excellente, nous sommes mis à faire notre travail de bibliographie.
Maladroitement, j’ai commencé par regarder la littérature humaine. Les articles que j’y ai trouvé m’ont stupéfait : j’en parle plus bas. Je dis maladroitement la littérature humaine avant la vétérinaire car il ne m’a pas fallu plus de quelques minutes de recherche dans la littérature vétérinaire pour m’apercevoir que cette excellente étude avait déjà été conduite par l’équipe d’Alfort à l’époque 2. Leur conclusion en est que pour le type de chirurgie mentionnées ci-dessus, il n’y a pas de différence entre les animaux recevant des antibiotiques ou pas avant la chirurgie. Certes, le taux d’infection est d’environ 9 % (nettement plus élevé que les rapports précédents concernant le taux d’infection des chirurgies propres et propre-contaminées)3 et la majorité des cas sont des chirurgies propres plutôt que propre-contaminées.
Néanmoins, les résultats sont là et confirment ce que l’on sait depuis longtemps : l’antibioprophylaxie n’est pas nécessaire pour les chirurgies propres. J’ai travaillé dans différents pays, côtoyé plusieurs spécialistes en anesthésie, passé plusieurs années à faire de la bibliographie pour mon diplôme, et assisté à de nombreux congrès et je ne connaissais pas cet article. Au delà du fait que mon sentiment d’omniscience en ait pris un coup, je suis étonné qu’un article comme celui-ci n’ait pas fait plus de bruit. De là à conclure que ce sujet intéresse peu de vétérinaires il n’y a qu’un pas !
Ce qui se passe en humaine
Mais puisque la gestion des antibiotiques semblent évidente à tous nos détracteurs bien pensants (opinion publique, ANSES, médecins, pharmaciens,….), allons voir comment ça se passe en médecine humaine. Et c’est là que le bât blesse car on se rend vite compte qu’au delà de quelques recommandations et quelques messages invitant à un effort collectif (« les antibiotiques c’est pas automatique », « Les antibiotiques, utilisés à tort, ils deviendront moins forts »), il n’y a aucune réglementation.
Les études réalisées dans divers hôpitaux européens montrent que la compliance aux bonnes pratiques d’utilisation des antibiotiques peut descendre jusqu’à 36 %4, 5. Certains praticiens ne se cachent pas d’avouer qu’ils préfèrent utiliser des antibiotiques contre les recommandations plutôt que de risquer une infection aux conséquences dramatiques pour leur patient et en prime un procès pour ces mêmes complications 6.
Au delà de ces risques, il y a une réalité économique : l’utilisation d’une antibioprophylaxie systématique coûte moins cher que la gestion des sepsis liée à son abandon. Grâce à notre merveilleux système français cette dernière considération n’est pas très importante. Mais qui va payer en médecine vétérinaire ? Le client qui devrait en plus être fier de participer à l’effort commun de lutte contre les antibiorésistances ? Ou le vétérinaire qui ainsi s’évitera un procès avant de perdre son client de toutes façons ? Alors pourquoi devrions nous nous priver d’une protection (sûrement souvent inutile) que les médecins se refusent à abandonner ? La conséquence de leurs actes étant autant si ce n’est plus responsable des antibiorésistances rencontrées de nos jours en médecine humaine. Parce que nous traitons des bêtes ? Je ne pense pas que la majorité de nos clients soient prêts à entendre ce discours. Et puis si on raisonne plus avant, une antibioprophylaxie sur un animal me semble plus justifiée que sur un homme dont le niveau d’hygiène est quand même nettement supérieur (si si j’insiste, on voit rarement un homme se lécher l’anus puis se lécher ses plaies !).
Distinguer animaux de rente et de compagnie
Il y a sans aucun doute un amalgame colporté au grand public par quelques journalistes mal informés en quette de sensationnel 7. Il faut considérer distinctement la médecine humaine, la médecine des petits animaux et la médecine des animaux de rente. Pour cette dernière, il est clairement avéré que les dérives du passé ont conduit à une augmentation des résistances bactériennes chez les espèces concernées ainsi que pour les bactéries zoonotiques (salmonellose par exemple). Tous les acteurs de ces filières ont fait beaucoup d’efforts ces dernières années et l’utilisation des antibiotiques dans certaines domaines a été réglementée.
Et il ne faut pas perdre de vue non plus que si sur les environ 1700 tonnes d’antibiotiques consommés en France par an, près de 1000 tonnes sont destinées aux vétérinaires, le ratio n’est plus du tout le même lorsque l’on s’intéresse au milligramme de principes actifs par kilogramme de masse corporelle. On voit alors que la consommation est de 63,9 mg / kg de masse corporelle animale (en 2010) mais qu’elle est trois fois plus élevée en kg de masse corporelle humaine 8 ! Et puis si on cherche des arguments pour se défendre il ne faut pas aller chercher bien loin pour trouver que la France est à la seconde place européenne pour la consommation des antibiotiques en humaine depuis 10 ans (elle était première avant !)9.
Ce que l’on sait donc pour sûr est qu’il y a un échange de matériel génétique entre les bactéries chez l’homme et les bactéries chez l’animal. On n’a pas pour l’instant pas pu démontrer la transmission de bactéries (autres que zoonotiques) directement entre l’homme et les animaux domestiques. L’échange génétique des résistances se fait aussi bien de l’homme à l’animal que dans le sens inverse et il n’existe pour l’instant aucune preuve quant à la direction de ce flux 10.
Des questions en suspens
Pour conclure, en médecine vétérinaire des petits animaux, qui nous blâme ? Qui peut se permettre de nous donner des conseils ? Les instances sanitaires ? Ils leur faudrait des preuves de notre impact sur le problème et la gestion du problème chez les animaux de rente serait un premier pas de leur efficacité. Et puis comment nous expliquer qu’elles autorisent la mise sur le marché d’une céphalosporine de 3e génération à potentiel augmenté dont la durée d’action est de 15 jours ? Dans la majeure partie des cas, c’est la rémanence du produit qui nous intéresse, afin de nous affranchir de la compliance médiocre du propriétaire, et non la génération de la molécule. La même rémanence sur une première génération serait tout aussi utile et utilisée à mon avis. Les médecins ? C’est l’hôpital qui se moque de la charité. Leur propre utilisation abusive des antibiotiques n’est plus à démontrer alors que notre rôle dans leurs résistances reste encore à prouver. Nos clients ? J’ai pour l’instant la nette impression que j’ai plus de clients me reprochant de ne pas utiliser des antibiotiques quand je n’en prescris pas que de client comme dans ma première anecdote ci dessus. Nous mêmes ? Il est intéressant de constater qu’en façade nous sommes tous d’accord sur le fait de participer à la lutte contre l’antibiorésistance et de condamner le voisin qui en utilise à tort et à travers. Mais quand il en vient de gérer nos propres cas, on se dit que puisque tout le monde fait l’effort, c’est pas notre petite injection de céfovécine qui va changer quelque chose ! Les antibiotiques c’est pas automatique… pour les autres.
Qu’on ne s’y méprenne pas, je fais particulièrement attention à l’usage des antibiotiques que j’emploie. Pour aucun de mes cas leur utilisation n’est systématisée mais est le résultat d’une réelle réflexion. Le trop souvent entendu « ça fait 15 ans que je fais ça… » n’est malheureusement pas un argument de poids pour continuer à pratiquer une antibiothérapie abusive. Mais si la lutte à long terme passe par une meilleure formation des étudiants vétérinaires, les changements à court terme passe par une volonté de mieux travailler du plus grand nombre. Mais s’il vous plait, qu’on arrête de nous montrer du doigt et de nous punir en nous supprimant progressivement les antibiotiques auxquels nous avons déjà accès, comme à des enfants irresponsables.