Résumé
L’entropion est une affection ophtalmologique fréquente dans certaines races de chien pour laquelle il existe de nombreuses possibilités thérapeutiques. Une technique chirurgicale associant la technique de Hotz Celsus et l’exérèse d’un coin palpébral latéral a été décrite par Read et Broun en 2007 pour le traitement des entropions inféro-latéraux du chien. Cette technique a été utilisée pour traiter l’entropion inféro-latéral de 42 chiens référés au service d’ophtalmologie du CHV des Cordeliers. Les races les plus représentées sont le Rottweiler, le Bulldog anglais et le Retriever du Labrador. Cette affection concerne principalement les jeunes, la majorité des chiens atteints de l’étude avaient entre six et 12 mois.
Les complications postopératoires concernent 7,1 % des chiens. Les résultats obtenus en utilisant cette nouvelle technique de correction chirurgicale sont bons à excellents. Le degré de satisfaction des propriétaires est élevé.© 2013 AFVAC. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary
Entropion is a common eyelid abnormality in certain dog breeds. Several methodsto treat entropion in dogs are used. In 2007, Read and Broun have described a surgical technique,involving a combination of Hotz Celsus and lateral eyelid wedge resection for the correction oflateral lower lid entropion in dogs. This technique was used to treat 42 dogs with lower lid entro-pion at the CHV des Cordeliers. In this study, the most common canine breeds are the Rottweiler,English Bulldog and Labrador Retriever. Young dogs appear to be more frequently affected; infact, the majority of dogs was between 6 and 12 months.
Postoperative complications werediagnosed for 7.1% of dogs. Results of this new surgical technique go from good to excellent.According to the owners, the success rate is high.© 2013 AFVAC. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Correction de l’entropion infero-latéral
Introduction
Les affections des paupières sont fréquentes dans certaines races de chien et représentent une part non négligeable des consultations en ophtalmologie canine 1,2. Ces affections comprennent en particulier l’entropion. C’est une anomalie de conformation complexe, correspondant à une inversion totale ou partielle du bord libre de la paupière à l’origine d’une irritation chronique de la cornée et/ou de la conjonctive 1—4. L’entropion peut être latéral, médial,angulaire ou total et peut concerner la paupière inférieure,la paupière supérieure, ou les deux, avec une participation éventuelle du canthus latéral.
Les entropions se divisent en deux catégories : primaire ou secondaire 2,4,6. Les entropions primaires résultent d’une anomalie congénitale telle qu’une longueur de paupière excessive, une ouverture palpébrale insuffisante, un défaut d’appui des paupières liée à une microphtalmie ou à une énophtalmie, ou encore un défaut de la sangle horizontale associé à une laxitépalpébrale 7.
Les entropions acquis sont quant à eux secondaires, soit à une douleur sévère et persistante induite par exemple par une lésion cornéenne ou conjonctivale(entropions spastiques), soit à une laxité du tarse de la paupière supérieure avec l’âge (entropions séniles), soit à des rétractions cicatricielles secondaires à un traumatisme,une inflammation ou à une chirurgie (entropions cicatriciels)6,8.
Les entropions primaires sont les plus fréquents chez le chien 9. Dans la plupart des cas, une prédisposition raciale et une origine héréditaire sont suspectées, cependant les gènes mis en cause dans cette affection n’ont pas été tous clairement identifiés à ce jour 8. Les entropions concernant l’ensemble de la paupière inférieure se rencontrent notamment chez le Chow Chow, le Shar Pei, le Bouvier des Flandres et le Rottweiler 2,9. Chez le Retriever du Labrador et le Golden retriever, l’entropion ne concerne souvent que le tiers latéral de la paupière inférieure 2. Dans les grandes races, notamment chez les races de type molossoïde, l’entropion est dit complexe associant un entropion médial à un ectropion latéral avec un défaut de tension de la sangle horizontale, on parle d’œil rhombique ou « d’œil diamant » 4. La composante spastique, associée à la douleur secondaire au frottement des poils sur la cornée, amplifie l’entropion primaire préexistant 9.
La longueur de la paupière a été identifiée comme facteur de risque dans le développement d’entropion primaire 10. La longueur moyenne de l’ouverture palpébrale est de 33 mm chez les chiens de races moyennes à grandes 2. Lors d’entropion, il a été montré que la longueur de la paupière est significativement plus longue chez les races prédisposées 2,10. Cependant, d’autres facteurs entrent en jeu tels que l’anatomie de l’orbite, la conformation du crâne et la présence plus ou marquée de plis cutanés autour des yeux 9.
Matériel et méthodes
La population étudiée est représentée par l’ensemble des chiens présentant un entropion inféro-latéral primaire, traités chirurgicalement au service d’ophtalmologie du CHV des Cordeliers du 01 avril 2011 au 31 octobre 2012 selon la tech-nique de correction chirurgicale décrite par R. Read et H.Broun en 2007, et se compose de 42 chiens. Tous ont été opérés par le même chirurgien durant cette période de un an et sept mois. Les animaux atteints d’entropion bilatéral n’ont été comptés qu’une seule fois, malgré une intervention chirurgicale sur les deux yeux. La race des animaux atteints,leur sexe, l’âge au moment du diagnostic, la typologie de l’affection (unilatérale ou bilatérale), le type d’anomalie palpébrale, les complications postopératoires rencontrées,la présence d’une reprise chirurgicale, le délai entre deux interventions ainsi que le degré de satisfaction des propriétaires ont été analysés.
Tous les chiens de cette étude présentaient un blépharospasme, une photophobie et un épiphora associés à l’entropion inféro-latéral (Fig. 1a et b). Un test à la fluo-rescéine a été réalisé sur chacun des chiens de notre étude et montrait toujours un marquage positif en zone temporale de la cornée, témoignant de l’importance de l’enroulement palpébral et de la nécessité d’une correction chirurgicale (Fig. 2).
Tous ces chiens ont eu un bilan sanguin préopératoire comprenant une numération formule sanguine et un bilan biochimique (dosage de l’urée, de la créatinine, des phosphatases alcalines, de l’alanine aminotransférase, des protéines totales, de l’albumine et de la glycémie).Cette technique de plastie palpébrale est basée sur l’observation, que chez certains individus, une longueur excessive de la paupière inférieure est responsable de l’entropion primaire. Elle combine deux techniques chirurgicales de base : la technique de Hotz Celsus et l’exérèse d’un coin de paupière en région inféro-latérale. Le protocole anesthésique utilisé est unique dans cette étude. Les chiens sont prémédiqués à l’aide d’acépromazine à 0,03 mg/kg associé à de la morphine à 0,4 mg/kg en intramusculaire. Après 30 minutes, l’induction est réalisée à l’aide d’alfaxolone à 2 mg/kg en intraveineuse. Suite à l’intubation trachéale, un relais gazeux à l’isoflurane est utilisé. Les chiens reçoivent également en préopératoire une injection de céfalexine à 30 mg/kg en intraveineuse et en postopératoire une injection de carprofène à 4 mg/kg en sous-cutané.Ils sont placés sous perfusion de Ringer lactate en peropératoire à 10 mL/kg par heure.
Les chiens opérés sont préparés chirurgicalement selon les règles d’asepsie, puis transférés au bloc opératoire.
Le degré de raccourcissement de la paupière est évalué en premier lieu afin de délimiter le coin d’exérèse palpébral. Le bord latéral du coin d’exérèse est effectué au niveau du canthus externe et délimité par une petite incision au niveau du limbe. Le bord médial du coin d’exérèse est lui défini selon ce procédé : le bord libre de la paupière inférieure est saisi délicatement à l’aide d’une pince forceps à environ un tiers à un quart de la longueur totale depuis le canthus externe, et rétracté latéralement jusqu’à atteindre le canthus externe afin de déterminer le degré de raccourcissement correct,qui donnera une longueur de paupière inférieure équivalente à celle de la paupière supérieure (Fig. 3). Une incision à la lame de bistouri est pratiquée et va servir de point de repère pour délimiter ce bord médial du coin. La distance du coin retiré au niveau du bord limbique peut aller de 5 à 12 mm suivant les chiens. La paupière est alors maintenue en tension en plaçant le doigt de l’opérateur dans le fornixconjonctival inférieur. Partant des deux repères définis au niveau du limbe, la peau est ensuite incisée en forme de coin à la lame de bistouri (bard parker no15) afin de délimiter la zone d’exérèse. La pointe du coin est en regard de la base du cul-de-sac conjonctival.
Figure 1A : Dogue de Bordeaux, mâle, sept mois.
Blépharos-pasme et épiphora de l’œil gauche
Figure 1B : Même œil, entropioninféro-latéral avec longueur excessive de paupière.
Figure 2 : Rottweiler, femelle, 12 mois.
Ulcère cornéen superficiel secondaire à l’entropion inféro-latéral.
Figure 3 : Détermination des points de repère du coin d’exérèse latéral d’un œil gauche atteint d’entropion inféro-latéral.
Le côté latéral du coin d’excision est tel qu’il est légèrement plus court que le côté médial. En effet, l’incision cutanée du bord latéral du coin d’exérèse est réalisée perpendiculairement au bord libre de la paupière sur environ 10 à 20 mm de longueur, selon le format du chien (Fig. 4).L’incision du bord médial du coin d’exérèse est quant à elle orientée obliquement jusqu’à rejoindre la précédente incision (Fig. 5 et 6).
Figure 4 : Incision du côté latéral du coin d’exérèse.
Figure 5 : Incision du côté médial du coin d’exérèse.
Figure 6 : Exérèse du coin latéral d’un œil droit atteint d’entropion inféro-latéral.
La technique de Hotz Celsus va permettre de diminuer la longueur de l’incision du coin médial de quelques millimètres, de telle sorte que les deux côtés du coin soient de longueur égale ce qui va faciliter la mise en place des points de suture. La distance entre le bord médial et latéral du coin d’exérèse est mémorisée et reportée pour l’intervention sur le second œil. La technique de Hotz Celsus est modifiée car le croissant d’exérèse est tronqué d’une moitié. L’incision proximale est réalisée à environ 2 à 3 mm du bord libre de la paupière en restant parallèle à celui-ci, et s’étend depuis le bord médial du coin d’exérèse jusqu’à la fin de l’entropion médialement. L’incision distale du Hotz Celsus dessine le demi-croissant en rejoignant la première incision. La largeur du demi-croissant de peau à retirer est fonction du degré d’enroulement palpébral à corriger (Fig. 7).
Elle est en général comprise entre 3 et 7 mm selon le format du chien et la sévérité de l’entropion. Cette dis-tance est également mesurée pour la reproduire sur l’œil adelphe.
Une fois les incisions réalisées, la dissection cutanée du demi-croissant de Hotz Celsus est effectuée aux ciseaux de Mayo. Puis, le coin d’exérèse est alors sectionné en utilisant des ciseaux droits de Stevens permettant une coupe franche du tarse et de la conjonctive (Fig. 8).
Dans un premier temps, le demi-croissant de la technique modifiée de Hotz Celsus est suturé par des points cutanés simples (Fig.9).
Figure 7 : Incision du croissant cutané. Selon la méthode de Hotz Celsus.
Figure 8 : Exérèse du croissant cutané. Hotz Celsus.
Figure 9 : Suture à points séparés du croissant cutané après son exérèse.
Le coin d’exérèse est ensuite fermé en deux plans, des points en U pour le plan conjonctival puis des points simples pour le plan cutané (Figs. 10, 11a et b).
Les sutures sont réalisées à l’aide d’un fil tressé rapidement résorbable en polyglactine 910 décimale 1 (Vicryl®rapide, Ethicon).
Figure 10 : Suture du plan conjonctival du coin d’exérèse latéral.
Figure 11 : a : suture du plan cutané du coin d’exérèse latéral
b : sharpei, mâle, 12 mois, œil droit. Postopératoire immédiat aprèsles sutures.
Le coin d’exérèse est ensuite fermé en deux plans, des points en U pour le plan conjonctival puis des points simples pour le plan cutané (Figs. 10, 11a et b).
Lors d’affections bilatérales, la même intervention est réalisée sur l’œil controlatéral en reproduisant les différentes mesures prises sur le premier œil, dans la mesure,bien sûr, où le degré de l’entropion est identique pour les deux yeux. Pour les chiens où un ectropion est également présent, la correction de l’entropion par cette technique corrige l’ectropion en retendant la paupière.Les chiens sont rendus à leur propriétaire le soir même de l’intervention, avec le port systématique d’un carcan durant 20 jours. Des nettoyages locaux biquotidiens avec une solution de lavage oculaire, suivis de l’application de pommade de tobramycine, sont prescrits durant trois semaines. Les animaux sont revus en contrôle à cinq jours,à 12 jours, à 20 jours puis à deux mois postopératoires (Fig. 12a et b, 13, 14a, b et c).
Figure 12 A Croisé molossoïde, mâle, huit mois. Entropioninféro-latéral de l’œil gauche avec longueur excessive de paupière.
Figure 12 B Résultats à la visite postopératoire des trois semaines.
Figure 13 Dogue de Bordeaux, mâle, sept mois. Résultats de l’œil gauche à la visite postopératoire des deux mois.
Figure 14A Rottweiler, femelle, 12 mois. Entropion inféro-latéral de l’œil droit
Figure 14B Entropion inféro-latéral de l’œil gauche
Figure 14C Résultats à la visite postopératoire des deux mois.
Résultats
Les résultats des 42 chiens présentant un entropion inféro-latéral et traités au service d’ophtalmologie du CHV desCordeliers par la technique chirurgicale de résection d’un coin latéral de paupière combinée à une technique de HotzCelsus, comme décrite précédemment, ont été inclus dans cette étude. L’ensemble des résultats est résumé dans le Tableau 1.Dans notre étude, 15 races sont représentées. Les races les plus fréquemment rencontrées sont le Rottweiler, le Bulldog anglais et le Labrador, avec respectivement 14,3 %,11,9 % et 9,5 % de la population (Tableau 2).
Les mâles sont plus représentés puisque notre population d’étude compte 25 mâles, soit 60 % de la population. L’âge des animaux à l’admission s’étend de quatre mois à trois ans, avec un âge moyen des chiens atteints d’entropion de 14,6 mois et un écart-type de 7,8 mois. Soixante-deux pour cent des chiens de notre étude ont entre six et 12 mois.Un entropion bilatéral est retrouvé chez 24 animaux,soit 57 % des chiens de la population.
Un ectropion est également rencontré conjointement à l’entropion inféro-latéral chez 14,3 % des chiens de notre étude. Trois chiens ont présenté des complications postopératoires soit 7,1 %d’entre eux. Parmi elles, on note une déhiscence de plaie suite au retrait du carcan, un entropion inféro-médial persistant et l’apparition d’un ulcère à bords décollés. Ces complications ont toutes nécessitées une seconde intervention chirurgicale, réalisée dans un délai de sept jours à trois mois, majoritairement dans les deux semaines suivant la première intervention chirurgicale. Concernant les chiens n’ayant subi qu’une seule intervention chirurgicale, le degré de satisfaction des propriétaires, recueilli lors de l’ablation des points cutanés, est très satisfaisant (Tableau 1).