Un cas de myocardiopathie

dilatée Tauriprive

  • La myocardiopathie dilatée (MCD) est une cardiopathie fréquente chez les chiens de grand format. Bien que celle-ci soit souvent primitive, il semblerait que les cas de MCD d’origine nutritionnelle soient en progression.

Auteurs : Drs. É. Eychenié et É. Bomassi 12-07-2019
Centre Hospitalier Vétérinaire des Cordeliers, 29-35 avenue du Maréchal Joffre, 77100 Meaux.
E-mail : ebomassi@chvcordeliers.com
Cet article a été publié dans : L’Essentiel (2019)  p 132-135

Un cas de myocardiopathie dilatée Tauriprive

Alimentation végétarienne

En effet, avec l’émergence des régimes alimentaires alternatifs (BARF, végan/végétariens, sans céréales, exotiques…), le risque de carences nutritionnelles semble plus élevé.

Une chienne croisée berger allemand âgée de 4 ans et pesant 24,5kg, est présentée en consultation chez son vétérinaire traitant pour un épisode de toux et une intolérance à l’effort évoluant depuis trois semaines. Un examen radiographique du thorax permet de mettre en évidence une silhouette cardiaque de taille augmentée et une suspicion de bronchite. Un traitement à base de robenacoxib (Onsior®), d’amoxicilline et acide clavulanique (Kesium®) et benazepril (Benakor®) est initié.

Dix jours plus tard, elle est présentée au service de cardiologie du CHV des Cordeliers pour une détresse respiratoire.La chienne reçoit une alimentation végétarienne depuis son plus jeune âge.

Examen clinique

L’examen clinique général met en évidence un état de maigreur (score de condition corporelle de 3/9 (Freeman, 2011)), des muqueuses rose pâle, un pouls fémoral faible et un choc précordial diminué. Une dyspnée mixte et une polypnée à 60 mouvements par minute sont observées, accompagnées de crépitements pulmonaires à l’inspiration. L’auscultation cardiaque révèle une tachycardie (150 battements par minute), un bruit de galop et un souffle systolique apexien gauche de grade 3/6.

Hypothèses diagnostiques

Le bilan anamnestico-clinique oriente vers une cardiopathie avec insuffisance cardiaque congestive (souffle, bruit de galop, crépitements pulmonaires, dyspnée, polypnée).
Une MCD est l’hypothèse la plus probable, et considérant les antécédents alimentaires de la chienne (alimentation végétarienne), une MCD secondaire d’origine tauriprive est envisagée. D’autres cardiopathies sont possibles, comme une cardiopathie congénitale ou une maladie valvulaire dégénérative.

Examens complémentaires

photo 1
1 – Radiographie thoracique à l’admission (profil droit) : cardiomégalie globale, densification veineuse pulmonaire, densification interstitielle et alvéolaire(œdèmepulmonaire).
 
  • Des radiographies thoraciques sont réalisées pour explorer les signes respiratoires : une cardiomégalie globale, une densification parenchymateuse interstitielle et alvéolaire, ainsi qu’une densification veineuse (congestion veineuse pulmonaire) sont visualisées, en faveur d’un œdème pulmonaire (Fig. 1).
  • Un examen echocardiographique permet d’explorer le souffle cardiaque et le bruit de galop. Il met en évidence une dilatation systolo-diastolique et une hypocontractilité ventriculaires gauches (Fig.2), une dilatation atriale gauche, une dilatation ventriculaire et atriale droite, une hypertension pulmonaire systolique, une insuffisance mitrale significative et une insuffisance tricuspidienne modérée (Tab. 1). Un discret épanchement péricardique est objectivé.
  • Un électrocardiogramme met en évidence une tachycardie sinusale.
  • Un bilan biologique et un ionogramme sont réalisés afin d’évaluer la perfusion rénale. Ils sont sans anomalie.
  • Suspectant une MCD d’origine alimentaire (tauriprive), un dosage de la taurine est réalisé. Celui-ci révèle un taux plasmatique de 15,98 µmol/l, en dessous des valeurs usuelles (44-224 µmol/l).
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2 – Échocardiographie à l’admission. Coupe petit axe transventriculaire mode temps-mouvement, obtenue par un abord parasternal droit : dimensions ventriculaires augmentées en systole et diastole, diminution de la contractilité (Tab. 1)
 

Diagnostic

Les examens complémentaires confirment la présence d’une MCD décompensée, secondaire à une carence en taurine.

Prise en charge thérapeutique

J0 : la chienne est hospitalisée et reçoit un traitement de l’insuffisance cardiaque congestive :

  • oxygénothérapie ;
  • Furosémide : un bolus (2 mg/kg IV) suivi d’une perfusion continue (0,6 mg/kg/h pendant 6 heures, renouvelable jusqu’à diminution de la fréquence respiratoire) ;
  • Pimobendane : une injection (0,15 mg/kg IV) suivie d’un relais per os (0,2 mg/kg/12h) ;
  • Butorphanol (0,2 mg/kg IV) ;
  • Le benazepril et l’antibiothérapie sont suspendus.

J+2 : après amélioration de l’insuffisance cardiaque congestive, une sortie d’hospitalisation est envisagée avec le traitement suivant :

  • pimobendane (Vetmedin®, 0,2 mg/kg/12 h) ;
  • furosémide (Libeo®, 0,82 mg/kg/8 h) ;
  • reprise du benazepril (Benakor®, 0,4 mg/kg/j) ;
  • supplémentation en taurine : 100 mg/kg/j ;
  • supplémentation en L-Carnitine : 2 g/12 h, puis 3 g/8 h au bout d’une semaine en l’absence de diarrhées ;
  • repos (éviter efforts violents et fortes chaleurs).

Un suivi est réalisé sur 10 mois (Tab. 1)

Le traitement en hospitalisation permet une amélioration
clinique rapide, avec amélioration de l’insuffisance cardiaque congestive, de l’œdème pulmonaire et récupération d’une courbe respiratoire normale. Puis sur le long terme, le traitement médical et la supplémentation en taurine et L-carnitine entraînent une régression du souffle cardiaque et une amélioration de la fonction cardiaque.

En effet les contrôles échocardiographiques réguliers (initialement tous les 2-3 mois) montrent une diminution progressive des dimensions cavitaires (ventricule et atrium gauche, ventricule droit), des insuffisances mitrale et tricuspidienne, ainsi qu’une amélioration de la fonction systolique (fraction d’éjection et de raccourcissement). Le furosémide a été arrêté au bout de 6 mois de traitement.

Le dernier contrôle réalisé à 10 mois met en évidence une stabilisation des valeurs, permettant un arrêt du benazepril (Fig. 3). En plus de l’amélioration de la fonction cardiaque, la chienne a progressivement atteint un poids de forme idéal (score de condition corporelle de 5/9).

photo 3
3 – Échocardiographie de contrôle à 10 mois. Coupe petit axe transventriculaire mode temps-mouvement, obtenue par un abord parasternal droit : dimensions ventriculaires normalisées, normalisation de la contractilité.
 

Suite à cette évolution favorable, un suivi est conseillé tous les 6-12 mois (mais ne pourra pas être effectué par nos soins à cause du déménagement des propriétaires).

Malgré les recommandations, les propriétaires ont décidé de poursuivre un régime végétarien et de maintenir la supplémentation en taurine et L-carnitine.

Tab 1 – Suivi clinique et échographique réalisé sur 10 mois

Discussion

Données sur la MCD tauriprive

Les MCD sont classées en primaires (races prédisposées ou non) ou secondaires (métabolique, infectieuse, toxique etc.). Les MCD secondaires à un régime alimentaire inadapté peuvent être non tauriprives (carence en nutriments, présence d’ingrédients anti-nutritionnels ou toxiques) ou tauriprives, comme dans le cas décrit.

L’émergence des régimes alternatifs semble avoir été mise en relation avec de nombreux cas de MCD chez le chien.

Par conséquent, l’agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) alerte les vétérinaires et les propriétaires du manque de recul scientifique sur les nouvelles « modes » d’alimentation notamment les aliments riches en graines de légumineuses, tels que les pois ou les lentilles, et en pomme de terre) (US FDA, 2018).

Bien que l’importance de la taurine dans l’activité myocardique soit reconnue, son mécanisme d’action reste encore flou. L’hypothèse principale est qu’elle modulerait la concentration et la disponibilité en calcium tissulaire.
La taurine aurait aussi un rôle sur la contraction du myocarde et aurait une activité antagoniste de l’angiotensine II. De plus elle pourrait inactiver les radicaux libres et aurait un effet osmo-régulateur, protégeant ainsi le myocarde et les tissus nerveux (Sanderson, 2006).

À la différence du chat, le lien entre la déficience en taurine et les MCD chez le chien a longtemps été ignoré. C’est une étude mettant en évidence une carence en taurine chez des renards atteints de MCD, qui a relancé les recherches à son sujet (Moïse, 1989). Une étude de l’Université de Davis et du Animal Medical Center de NewYork a montré que 17 % des 75 chiens atteints de MCD avaient un taux plasmatique en taurine faible, et que la majorité des sujets atteints n’étaient pas des races prédisposées à la MCD primitive, mais des goldens retrievers et des cockers américains (Kramer, 1995). Puis, l’étude MUST (Multicenter Spaniel Trial Study) réalisée sur 11 cockers américains diagnostiqués de MCD, a révélé que tous étaient carencés en taurine.

Le groupe recevant une supplémentation en taurine et Lcarnitine a montré une évolution clinique et échocardiographique favorable, ainsi qu’une médiane de survie augmentée en comparaison avec le groupe contrôle (Kittleson, 1997). Récemment, une étude sur 24 goldens retrievers nourris de manière non conventionnelle, diagnostiqués de MCD et carencés en taurine a montré que tous, sauf un, ont répondu favorablement à un changement d’alimentation et une supplémentation en taurine (Kaplan, 2018).

Diagnostic de la MCD tauriprive

Une origine nutritionnelle pour la MCD doit être suspectée chez tous les sujets recevant une alimentation alternative (ménagère, végane, végétarienne, aliments exotiques, « grain-free », pauvre en protéine ou riche en fibres). Dans notre cas, c’est l’alimentation végétarienne de la chienne qui a incité à investiguer une MCD tauriprive. Mais considérant que tout type de ration est susceptible de provoquer des carences nutritionnelles (de par leur formulation, leur biodisponibilité, etc.), les auteurs conseillent de rechercher une carence en taurine chez tous les chiens atteints d’une MCD (même chez les races génétiquement prédisposées) (Freemann, 2018 ; Sanderson, 2006).

Le diagnostic d’une carence en taurine se réalise grâce à son dosage sur plasma et/ou sur sang total (Freemann, 2018 ; Sanderson, 2006). Le taux dans ce cas était clairement diminué, mais il arrive parfois que des chiens ayant une concentration dans les valeurs usuelles à la limite basse répondent favorablement à une supplémentation en taurine.

L’interprétation des valeurs obtenues est donc à mettre en relation avec la clinique et la réponse à la supplémentation (Sanderson, 2006).

Traitement de la MCD tauriprive

De nos jours, l’alimentation est considérée comme un facteur important du traitement de la MCD (Freemann, 2018 ; Sanderson, 2006). Les études réalisées sur les races prédisposées à une déficience en taurine (goldens retrievers et cockers américains) montrent une réponse favorable au traitement ainsi qu’une augmentation de la médiane de survie dans la majorité des cas, avec supplémentation (avec ou sans L-carnitine) en plus u traitement conventionnel (Kaplan, 2018 ; Kittleson, 1997).

Son taux optimal étant encore mal connu, la quantité de taurine à administrer chez les chiens souffrant d’une MCD n’est pas encore bien déterminée. Les recommandations actuelles sont de 500 mg chez les chiens de moins de 10 kg, 1 000 mg entre 10 et 25 kg, et 2 000 mg chez les chiens pesant plus de 25 kg, répartis en deux prises quotidiennes (Freemann, 2018). Ces quantités pouvant être augmentées ou doublées si nécessaire (Sanderson, 2006), la supplémentation chez notre chienne a été estimée entre 2 500 et 3 000 mg/j.

Évolution et pronostic de la MCD tauriprive

La progression de la fonction myocardique est rarement visible à l’échocardiographie avant 2-4 mois de supplémentation, mais une amélioration clinique est généralement plus rapide (Freemann, 2018 ;Sanderson, 2006), ce qui fut le cas chez notre chienne. Il est donc important de poursuivre la supplémentation en taurine, même en l’absence d’amélioration échocardiographique durant les premiers mois. Un suivi échocardiographique est recommandé dans les 6 premiers mois de traitement mais a été poursuivi plus longtemps dans le cas décrit pour s’assurer de la stabilité des observations.

Bien que le pronostic d’une MCD soit réservé, l’origine tauriprive est l’une des rares exceptions ou la cardiopathie peut être réversible à l’aide d’un traitement adapté et d’une supplémentation en taurine et L-carnitine. Ce cas clinique illustre la nette évolution clinique et la récupération de la fonction cardiaque au long terme chez une chienne atteinte d’une MCD tauriprive, grâce à un suivi réalisé sur 10 mois.

Étant donné la progression des préoccupations contemporaines, les recherches sur les nouvelles alternatives alimentaires doivent être poursuivies, afin d’éviter les effets néfastes à long terme d’une alimentation mal équilibrée.

En attendant, il est recommandé que les animaux nourris de manière non conventionnelle, par nécessité médicale ou conviction personnelle des propriétaires, reçoivent une supplémentation adaptée.

Bibliographie

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