Persistance du canal artériel décompensée chez un chiot
Prise en charge thérapeutique
La persistance du canal artériel est l’une des affections cardiaques congénitales les plus fréquentes chez le chien.
Elle est souvent diagnostiquée de manière fortuite chez des jeunes animaux en bon état clinique présentant un souffle cardiaque pathognomonique.
Le cas étudié traite d’une persistance du canal artériel avec signes de décompensation cardiaque chez un chiot Berger Australien de 8 semaines.
Pipa, chiot berger australien femelle de huit semaines, est reçue en consultation d’urgences pour abattement, faiblesse, détresse respiratoire et ptyalisme, d’apparitions aiguës.
Pipa est plus petite que ses frères de portée. Un souffle cardiaque a été identifié de manière fortuite lors d’une consultation de routine cinq jours auparavant.
Examen clinique
À l’admission, l’état général de Pipa est caractérisé par un abattement marqué. Elle est en hypothermie (37,2 °C) et présente un ptyalisme.
Une cyanose des muqueuses est observée. Une tachycardie régulière est mise en évidence, associée à deux souffles cardiaques distincts : un souffle systolo-diastolique basal gauche de grade 5/6 et un souffle systolique apexien gauche de grade 4/6.
La courbe respiratoire est dominée par une dyspnée restrictive avec des crépitements pulmonaires audibles à l’auscultation.
Hypothèses diagnostiques
Le souffle cardiaque basal gauche systolo-diastolique est pathognomonique d’une persistance du canal artériel.
Une insuffisance mitrale (par dysplasie, incompétence valvulaire fonctionnelle ou endocardite), une anémie ou une hypoxie sont des causes possibles de la présence d’un souffle systolique apexien gauche de grade 4/6. Un souffle d’éjection systolique lié aux turbulences du flux sanguin dans les gros vaisseaux lors de la systole est parfois retrouvé chez le jeune animal.
La dyspnée restrictive associée aux crépitements pulmonaires est attribuée en priorité à un œdème pulmonaire.
Les hypothèses secondaires regroupent d’autres atteintes pulmonaires (bronchopneumonie, pneumonie, hémorragie pulmonaire) ou encore un épanchement pleural.
Compte tenu du contexte anamnesto-clinique, l’hypothèse retenue en priorité est une insuffisance cardiaque congestive gauche secondaire à une persistance du canal artériel.
Examens complémentaires
En raison de la détresse respiratoire marquée de Pipa, les fonctions vitales sont privilégiées et les examens complémentaires sont reportés jusqu’à stabilisation de l’animal.
Le traitement médical instauré en première intention comprend une oxygénothérapie permanente (cage à oxygène à 60 % de Fi02), l’administration de diurétiques de l’anse (Dimazon® : furosémide) en perfusion continue au débit de 1 mg/kg/h et l’administration de sédatifs (Torbugésic® : butorphanol) en bolus IV répétés de 0,2 mg/kg au besoin toutes les 2 heures.
Après 24h de réanimation médicale, la fonction respiratoire de Pipa est légèrement améliorée et permet la réalisation des premiers examens complémentaires avec précaution.
Un bilan sanguin hématologique et biochimique incluant les gaz sanguins veineux est réalisé (Tab. 1). Les principaux désordres métaboliques observés sont directement en lien avec l’hypoxie liée au statut cardio-respiratoire de l’animal, mais aussi aux effets secondaires attendus suite à l’administration de diurétiques de l’anse pendant les 24 premières heures d’hospitalisation.
Des radiographies thoraciques sont entreprises. L’incidence de face n’étant pas réalisable en raison d’une mauvaise tolérance en position de décubitus dorsal (cyanose des muqueuses, dyspnée), seule une incidence thoracique de profil est réalisée (Fig. 1).
Fig 1 – Radiographie thoracique (incidence profil droit) réalisée 24 h après l’admission. Une cardiomégalie globale est visualisée, associée à une dilatation des vaisseaux pulmonaires (artère – flèche rouge ; veine – flèche bleue) et une opacification pulmonaire alvéolaire marquée et diffuse.
Une cardiomégalie globale sévère est mise en évidence, associée à une dilatation des vaisseaux pulmonaires et une opacification pulmonaire alvéolaire marquée et diffuse. L’ensemble de ces images est compatible avec un œdème pulmonaire.
Une échocardiographie est réalisée. L’examen met en évidence une persistance du canal artériel large, demorphologie tubulaire (Fig. 2A) et de haute vélocité, avec des turbulences sanguines importantes dans le tronc pulmonaire (Fig. 2b).
Fig 2A et 2B - Coupe échocardiographique transaortique (petit axe), voie parasternale droite, réalisée 24 h après l’admission. Mode bidimensionnel
2A : Canal artériel de morphologie tubulaire – Dimensions larges : ampoule 1,69 cm (double flèche rouge) ; ostium pulmonaire 0,72 cm (double flèche bleue) ; aorte 1,21 cm (double flèche jaune). Mode Doppler couleur
2B : Mise en évidence de turbulences sanguines importantes dans le tronc pulmonaire, caractéristiques d’une persistance du canal artériel.
Les dimensions ventriculaires gauches sont augmentées en diastole et en systole, et le rapport Ag/Ao est évalué à 1,9.
L’électrocardiogramme réalisé au cours de l’examen échocardiographique permet de diagnostiquer une tachycardie sinusale.
Diagnostic
Le diagnostic définitif est celui d’une persistance du canal artériel de type 3 selon Miller 1, de stade 3 à 4 selon Buchanan2 et de stade 3 selon Pouchelon 3 (Tab. 2).
Selon Buchanan2, l’intervention chirurgicale sur un animal présentant des signes de décompensation cardiaque sévère doit être reportée après une stabilisation médicale satisfaisante. L’intervention est ainsi contre-indiquée dans le cas de Pipa, et son pronostic est défavorable. Il est à noter que le pronostic vital en l’absence de prise en charge chirurgicale est également très sombre compte-tenu du contexte. Donc, quelle que soit la nature de la prise en charge, le pronostic est mauvais.
Traitement
Après 48 h de prise en charge médicale, Pipa présente toujours un mauvais état général. Son statut respiratoire est instable et l’œdème pulmonaire n’a pas rétrocédé.
Face à un échec thérapeutique au traitement médical instauré, et en considérant le pronostic sombre à court terme, une prise en charge chirurgicale est envisagée.
Une ligature du canal artériel est réalisée par thoracotomie intercostale, selon la technique décrite par Halfacree et Liptak 4. Au cours de la chirurgie, deux épisodes de fibrillation ventriculaire surviennent et sont résolus par massage cardiaque et défibrillation.
Suivi
Postopératoire immédiat
- Cliniquement, une amélioration de l’état général est observée dans les 24 premières heures.
- Un contrôle échographique réalisé 48 h après la chirurgie montre une nette amélioration des dimensions cavitaires, avec normalisation du rapport Ag/Ao (1,02). La ligature complète du canal est confirmée.
- Un contrôle radiographique de profil uniquement met en évidence une nette diminution des dimensions cardiaques, vasculaires, et de l’opacification alvéolaire pulmonaire.
- La lactatémie mesurée à nouveau à 24 h postopératoire est normalisée (1,43 mmol/l).
- Le traitement médical mis en place à la sortie d’hospitalisation comprend un traitement diurétique (Libéo® 10: furosémide) à raison de 0,8 mg/kg deux fois par jour, ainsi qu’un traitement inodilatateur (Vetmedin® 1,25 : pimobendane) à la dose de 0,1 mg/kg deux fois par jour.
15 jours postopératoire
- Pipa est revue en consultation de contrôle deux semaines après l’intervention chirurgicale. Elle présente un bon état général. Un souffle systolique apexien gauche résiduel de grade 1/6 est présent.
- Des radiographies thoraciques de contrôle révèlent une diminution de la taille de la silhouette cardiaque, associée à une normalisation des opacités pulmonaires.
- À l’examen échographique, les images sont normalisées.
- Seules une insuffisance mitrale, aortique et pulmonaire minimes persistent.
À ce stade, le pronostic est très favorable. Le traitement diurétique est stoppé. Le traitement inodilatateur est poursuivi pendant 7 jours à une dose moindre (0,1 mg/kg une fois par jour), puis il est également stoppé.
4 mois postopératoire
Des nouvelles ont été données par voie téléphonique. Pipa présente un bon état général et n’a aucun signe clinique résiduel lié à cette affection. Elle a repris une croissance normale depuis la chirurgie.