Intérêt de la mesure de la pression artérielle
L’anesthésie des animaux de compagnie, même si elle est de mieux en mieux maîtrisée, reste un acte risqué.
Dans une étude portant sur 3 239 animaux anesthésiés, les taux de complications ont été évalués à 12 % chez les chiens et 10,5 % chez les chats 1. L’hypotension représentait 58 % des complications chez le chien et 80 % chez le chat 1.
Ainsi, elle est considérée par certains comme la première complication per anesthésique chez les animaux de compagnie1.
La mesure de la pression artérielle est recommandée pour tous les animaux anesthésiés 2.
Si elle est identifiée précocement, une hypotension peut souvent être traitée par l’application de mesures simples.
Nous exposerons les méthodes permettant d’évaluer la pression artérielle. Puis nous définirons les valeurs acceptables pour un animal anesthésié. Enfin nous proposerons une démarche thérapeutique possible lorsque le praticien se trouve face à une hypotension per anesthésique.
Différentes méthodes de mesure
La pression artérielle correspond à la pression qu’exerce le sang sur la paroi des artères. Elle dépend de la force contraction du myocarde ainsi que de l’élasticité des vaisseaux (équation 1).
La pression maximale exercée sur les parois des artères est la pression artérielle systolique (PAS). La pression minimale est la pression artérielle diastolique (PAD). La pression artérielle moyenne (PAM) est le résultat d’une équation faisant intervenir la PAS et la PAD (équation 2). Leur unité de mesure est le mm de Hg.
L’évaluation de la pression artérielle par l’examen clinique est très difficile voir impossible. Le pouls, palpable par exemple sur les artères fémorales, pédieuses ou linguales, est le reflet de la différence entre la PAS et la PAD 2.
Par exemple, 2 chiens présentant des valeurs de PAS : 110 mm de Hg, PAD : 70 mm de Hg et de PAS : 70 mm de Hg et PAD : 30 mm de Hg ont le même différentiel entre la PAS et la PAD : 40 mm de Hg. Dans les 2 cas, le pouls palpé est frappé. Le 2e chien est pourtant hypotendu.
Les méthodes utilisées pour évaluer la pression artérielle se classent en 2 catégories : non invasive et invasive.
Les mesures non invasives
Elles s’effectuent en utilisant un brassard gonflable. La hauteur du brassard doit être comprise entre 40 et 60 % de la circonférence du membre 2, 3, 4.
- Un brassard trop petit surévalue la valeur de la pression artérielle alors qu’un brassard trop grand la sous-évalue.
- S’il est trop serré, le brassard agit comme un garrot et occlut partiellement l’artère. La mesure est donc sous-évaluée.
- S’il n’est pas assez serré, la pression d’inflation avant la détection d’un signal est trop importante et la mesure est surévaluée 5.
Photo 1 – Mesure de la pression artérielle par la méthode DOPPLER.
La méthode Doppler
La mesure de la pression artérielle par la méthode Doppler se fait en utilisant un cristal piézzoélectrique. Il permet de détecter le flux sanguin. Il est placé en regard d’une artère périphérique (artère pédieuse par exemple) distalement au brassard gonflable. L’artère est occluse par gonflement du brassard. La sonde à ultrasons est maintenue sur l’artère.
Le brassard est progressivement dégonflé. Lorsque le son du flux sanguin est perçu, la valeur lue sur le manomètre est celle de la PAS (photo 1). Seule la mesure de la PAS est considérée comme fiable.
Cette technique est applicable à tous les animaux, quelle que soit leur taille. Elle permet d’estimer les valeurs faibles des animaux hypotendus. Ses inconvénients sont qu’elle mobilise une personne pour chaque mesure. Dans des conditions chirurgicales, elle peut être difficile à mettre en place (présence de champs opératoires). Elle n’est pas automatisée. L’information n’est pas centralisable sur un écran multiparamétrique.
La méthode oscillométrique
Elle repose sur le fait que des oscillations sont perçues dans un brassard placé en surpression sur une artère lorsqu’il est progressivement dégonflé. La pression pour laquelle l’amplitude des oscillations est maximale correspond à la PAM.
Les oscillations débutent avant la réelle valeur de la pression systolique et se poursuivent au-delà de la réelle valeur de la pression diastolique. Ainsi, des logiciels ont été mis au point afin de déterminer une PAS et une PAD à partir de la mesure d’une PAM (photo 2). L’algorithme utilisé par les logiciels diffère d’un appareil à l’autre. Il est à l’origine d’imprécisions 4.
Photo 2 – Mesure de la pression artérielle par la méthode oscillométrique.
Considérant la PAS, il semble que les valeurs au-dessous de 80 mm de Hg sont surestimées et que les valeurs au dessus de 80 mm de Hg sont sous-estimées 3 ,5-7.
Une équipe a comparé les méthodes oscillométrique et invasive.
L’hypotension a été définie comme une PAM < 60 mm de Hg.
Une moyenne de 5 mesures consécutives de la PAM par mesure oscillométrique a été calculée.
Considérant cette moyenne, la sensibilité de la méthode oscillométrique dans la détection de l’hypotension était de 100 % et sa spécificité de 91 % 4.
Lorsque l’on utilise la méthode oscillométrique, il est recommandé de ne prendre en compte que la valeur moyenne d’au moins 5 mesures consécutives 3, 5, 6, 8.
La mesure oscillométrique a pour inconvénient d’être difficilement applicable aux très petits animaux (< 2,5 kg). Elle peut ne pas détecter de signal sur les animaux hypotendus. Elle a pour avantage d’être automatisée et les valeurs obtenues peuvent être affichées sur un écran multiparamétrique.
La mesure invasive
C’est la méthode de référence 3-8.
Elle consiste à placer un cathéter dans une artère périphérique (pédieuse ou auriculaire). Il est ensuite relié par un système de tubulures remplies de sérum physiologique hépariné à un transducteur (photo 3).
- La pression exercée à chaque instant par le sang sur la colonne de fluide est captée par le transducteur placé à la même hauteur que l’atrium droit.
- L’information est alors traitée par un logiciel.
- Cette méthode est la plus précise. Elle permet de suivre l’évolution de la pression artérielle en temps réel (photo 4).
- Elle n’est pas influencée par l’état physiologique du patient (hypo/normo/hypertendu). L’information est intégrée à un moniteur multiparamétrique.
- La pose d’un cathéter artériel peut cependant être techniquement difficile et longue.
- Le caractère invasif de la méthode induit des risques d’infection, d’embolie et d’hématome. Cette méthode est difficilement utilisable sur les animaux vigiles.
Photo 3 – Mesure de la pression artérielle par la méthode invasive.
Photos 3 et 4 : Mesure de la pression artérielle par la méthode invasive.
Connaître les variations acceptables
Il est recommandé de ne pas laisser la PAS descendre au dessous de 90 mm de Hg ou la PAM en dessous de 70 mm de Hg. Une réanimation doit être entreprise lorsque la PAS atteint 80 mm de Hg ou que la PAM atteint 60 mm de Hg. En dessous de ces valeurs, la perfusion des organes, les reins notamment, n’est plus assurée 2.
L’utilisation de systèmes de mesure automatisés de pression artérielle (oscillométrique, mesure invasive) permet d’obtenir des séries de mesures. Cela offre la possibilité d’établir des courbes de tendances et d’intervenir plus précocement.
Il est actuellement estimé que la pression artérielle ne doit pas varier de plus de 15 % au cours d’une anesthésie.
Ainsi, un animal avec une PAS de 120 mm de Hg en début d’anesthésie doit faire l’objet de mesures spécifiques s’il atteint la valeur de 120 – (0,15 x 120) soit 102 mm de Hg.
Que faire face à une hypotension ?
La grande majorité des agents anesthésiques ont des effets hypotenseurs (diminution la force contractile du cœur, des résistances vasculaires systémiques, du tonus sympathique, augmentation du tonus parasympathique, abolition des mécanismes de réponses physiologiques à une hypotension comme le baroréflexe). Pour cette raison, il est recommandé que tout animal anesthésié reçoive une perfusion de soluté isotonique à un débit compris entre 10 et 20 ml/kg/h.
Si une baisse de 15 % de la pression artérielle est observée pendant l’anesthésie, il est recommandé de diminuer la profondeur de l’anesthésie si cela est possible.
L’attention du lecteur doit ici se porter sur 2 points essentiels.
- D’une part, un protocole d’analgésie de bonne qualité est indispensable si l’on veut travailler avec de faibles concentrations d’anesthésiques.
- D’autre part, les animaux de moyen et grand format (>10 kg) recevant un anesthésique volatil (halothane, isoflurane, sévoflurane) sont souvent branchés sur des circuit recirculant qui sont volumineux et peuvent contenir jusqu’à 5 l de mélange.
Ils sont généralement choisis pour travailler à des débits de gaz entrant compris entre 100 et 1000 ml/min.
Considérant ces débits, lorsque l’on fait varier la valeur du vaporiseur, il peut s’écouler jusqu’à 30 minutes avant qu’un nouvel équilibre soit atteint. Il est recommandé de fixer le vaporiseur sur la valeur désirée, de débrancher le circuit du patient et d’utiliser la commande de « By Pass » pendant 15 secondes afin de vidanger le circuit rapidement.
Si la baisse d’agent anesthésique n’est pas efficace ou impossible il est recommandé d’avoir recours à une administration de fluides. L’utilisation d’isotoniques (Ringer Lactate ou NaCl 0,9 %) ou de colloïdes de synthèse (Hydroxy Ethyl Amidon ou HEA) est possible.
L’utilisation d’un soluté glucosé isotonique n’est pas efficace9. Les doses sont à administrer sous forme de bolus, le plus rapidement possible, jusqu’à obtention de l’effet désiré.
Chez le chien, la dose de soluté isotonique est de 20 ml/kg. Celle d’HEAest de 10 à 15 ml/kg. Les doses maximales à administrer sont de 90 ml/kg d’isotonique et 20 à 30 ml/kg d’HEA. Si ces doses sont atteintes sans que la pression artérielle ne soit rétablie, une autre alternative doit être envisagée.
Chez le chat, la dose de soluté isotonique est de 10 ml/kg. Celle d’HEAest de 5 ml/kg. Les doses maximales à administrer sont de 60 ml/kg d’isotonique et 15 ml/kg d’HEA. Si ces doses sont atteintes sans que la pression artérielle ne soit rétablie, une autre alternative doit être envisagée.
Une étude à montré que, sur des chiens anesthésiés avec de l’isoflurane dont l’hypotension est due à une hypovolémie absolue, l’HEA et le Ringer Lactate étaient efficaces pour restaurer la pression artérielle. Néanmoins, l’HEA a permis de restaurer la pression artérielle 3 fois plus rapidement que le Ringer Lactate 10.
Si aucune des mesures précédentes n’est efficace pour maintenir la pression artérielle le recours aux amines vasoactives peut être envisagé.
Les 2 principes actifs les plus utilisés sont :
- la dopamine (3 à 15 μg/kg/min)
- la dobutamine (1 à 10 μg/kg/min) 11, 12
L’association des 2 molécules peut être envisagée mais, chez le chien dont l’hypotension a été induite avec de l’isoflurane, elle n’a pas fait la preuve de sa supériorité dans le maintient de la PAM lorsqu’elle a été comparée à la dopamine seule (7μg/kg/min) 11.
Les principaux effets secondaires se manifestent par l’apparition d’arythmies (extrasystoles ventriculaires, tachycardie ventriculaire, blocs atrio-ventriculaires). Ces troubles du rythme rétrocèdent à l’arrêt du traitement 11, 12.
Il est possible que le rétablissement de la pression artérielle s’accompagne d’un allègement du stade anesthésique du patient et qu’il soit nécessaire d’augmenter le débit de distribution de l’agent anesthésique 11.
En cas de recours aux amines vasoactives, un sevrage progressif (sur plusieurs heures) est recommandé car l’arrêt brutal de l’administration du traitement peut s’accompagner d’une chute de la pression artérielle et d’une hypotension 11. Le schéma reprend les étapes de la démarche proposée.
Au total, l’hypotension est la complication per anesthésique la plus fréquente chez les animaux de compagnie.
De nombreux appareils sont désormais disponibles en pratique courante et permettent de surveiller la pression artérielle de manière fiable.
Démarche thérapeutique possible face à une hypotension per anesthésique.
- Le taux de complication per anesthésique est d’environ 10 % chez les animaux de compagnie.
- L’hypotension représente 60 % des complications chez le chien et 80 % chez le chat.
- Il est recommandé d’effectuer un suivi de la pression artérielle chez tous les animaux anesthésiés.
- Les 2 méthodes les plus rependues sont la mesure oscillométrique et la mesure invasive.
- Une prise en charge précoce d’une hypotension permet de la traiter dans la plupart des cas.